Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, 108 millions de personnes ont été forcées de quitter leur foyer en 2022. Persécutions, conflits, violations des droits de l’homme, les migrations sont le plus souvent liées à des troubles politiques, mais aussi, et c’est de plus en plus fréquent, aux impacts du changement climatique. Gros plan, à l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés, sur le phénomène méconnu et difficilement quantifiable des déplacements environnementaux.
En premier lieu, il y a un problème de terminologie : qu’est-ce qu’un déplacé environnemental ? À ce jour, cette notion n’a pas d’existence juridique dans le droit international. Aucun texte n’en donne une définition précise, et tant qu’il n’y aura pas de consensus sur les termes, il n’y aura pas de protection spécifique pour ces populations.
« Est-ce que l’on parle de réfugiés, de déplacés, de migrants ? On a aussi des débats qui portent sur la cause du mouvement : climatique, environnementale ou écologique, souligne la juriste Emnet Berhanu Gebre. On a deux catégories de termes que l’on combine, réfugiés climatiques, déplacés climatiques, migrants climatiques, migrants écologiques… Tout cela mérite d’être clarifié, ce qui permettrait d’invoquer des droits devant les autorités étatiques ou les autorités judiciaires. »
À ce flou juridique s’ajoute l’absence de baromètre mondial. En 2022, combien de personnes ont dû quitter leur foyer en raison du changement climatique ? Impossible d’avoir des chiffres clairs, en dehors de l’estimation au doigt mouillé livrée par l’ONU, « 100 000 sinistrés par an, voire plus ». L’ONG Internal Displacement Monitoring Centre, affiliée au Conseil norvégien pour les réfugiés, table plutôt sur 200 000 déplacés chaque année, mais les organes internationaux semblent, en réalité, bien incapables de chiffrer ce phénomène qui ne fait pas encore l’objet d’une reconnaissance officielle.
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Un angle mort
Quant à la visibilité des déplacés environnementaux sur la scène internationale, malgré un très léger frémissement dans le cadre des négociations climatiques, en particulier à l’approche des COP, elle reste embryonnaire, regrette la professeure Christel Cournil, qui mène depuis 2015 des recherches sur la justice climatique.
« C’est un angle mort, d’abord parce que les négociations climatiques sont surtout focalisées sur des objectifs d’atténuation des changements climatiques et d’opérationnalisation de l’accord de Paris. On s’est beaucoup focalisé à chercher, et c’était nécessaire, des objectifs chiffrés de réduction de gaz à effet de serre, comme ça a été le cas dans le protocole de Kyoto, mais la question de l’adaptation a été laissée de côté. Les problématiques de mobilité humaine et de migrations doivent être intégrées dans les plans nationaux d’adaptation au changement climatique. »
L’adaptation : c’est le mot-clé. Car au-delà du mécanisme d’accueil des déplacés environnementaux, qui reste à imaginer, la priorité immédiate reste de soutenir les pays les plus vulnérables aux impacts du changement climatique.
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À ce jour, leurs gouvernements sont quasiment livrés à eux-mêmes face à des migrations environnementales qui, dans la majorité des cas, sont des déplacements internes, sans franchissement de frontière internationale. En cas d’ouragan, de sécheresse, d’incendie, de fonte des glaces ou de montée des eaux, les populations touchées se déplacent d’une ville à l’autre ou d’une région à l’autre, à l’intérieur de leur propre pays.
« Des études empiriques ont démontré que les personnes menacées par les impacts des changements climatiques n’aspirent pas à obtenir le statut de réfugié dans les pays développés, précise Emnet Berhanu Gebre. Certaines pensent même que c’est dévalorisant, le terme de réfugié ayant une connotation très négative. Ces personnes revendiquent le droit de rester sur leur territoire, proches de la nature, dans la dignité. Ou le droit de migrer, d’être relocalisées afin de pouvoir travailler, sans devenir un fardeau pour les communautés qui les accueillent. »
Un enjeu de la COP28
Comment faire ? Certaines voix, comme celle du rapporteur spécial de l’ONU chargé des droits de l’homme liés au changement climatique, l’Australien Ian Fry, proposent de frapper fort en ajoutant un protocole facultatif à la Convention de Genève de 1951, ce qui ferait entrer les déplacés environnementaux dans le champ du droit des réfugiés. Mais est-ce réaliste dans le climat politique actuel ?
« C’est très difficile de s’engager sur ce terrain-là. Les États y seront sans doute hostiles, alerte Christel Cournil, il suffit de constater que la Convention de Genève est déjà difficilement applicable, en particulier en Europe, où l’on utilise de plus en plus de statuts B ou humanitaires en lieu et place du régime très protecteur de la Convention de Genève. D’un point de vue juridique, on peut créer l’outil, mais la communauté internationale n’est pas prête à le produire. »
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En attendant la mise sur pied d’une solution sur-mesure pour ces migrants climatiques, il est toujours possible d’agir sur le volet financier, car, à ce jour, les budgets ne suivent pas. L’exemple du Fonds d’adaptation au changement climatique est criant : cet organisme mis en place par le protocole de Kyoto n’a pu réunir qu’un milliard de dollars depuis sa création en 2010, une somme dérisoire au regard de l’immensité des besoins.
La piste la plus prometteuse ? Celle des « pertes et préjudices », lancée il y a bien longtemps par le groupement des petits États insulaires. Elle consiste à ce que les pays industrialisés, qui sont aussi les plus gros pollueurs mondiaux, indemnisent les nations du Sud les plus touchées.
Déclin économique, faillite des secteurs agricole ou touristique, extinction des espèces, traumatismes moraux et culturels, tout cela peut s’évaluer. Mais se payer ? Pour l’instant, l’Occident, les pays du Golfe ou la Chine y rechignent. C’est l’un des grands enjeux de la prochaine COP28 prévue à Dubaï, et de toutes les suivantes.