Les fêtes nationales sont célébrées à travers le monde, dans de toutes petites îles comme de grandes nations, sauf une… Les célébrations, qui se sont généralisées au XXe siècle, sont parfois boudées, quand elles ne sont pas des sujets qui fâchent.
La petite République de Saint-Marin, dans le nord de l’Italie, se présente comme la plus ancienne qui soit. Elle existe depuis l’an 301 et s’est choisie, en 1941, la date du 3 septembre pour mieux célébrer ses siècles d’existence.
D’autres contrées commémorent aussi leur longévité, encore supérieure. Le « jour de l’Empire », fête instituée en 1872, marque la fondation du Japon, 660 ans avant Jésus-Christ. La Corée du Sud bat ce record avec son Gaecheonjeol (« Le jour où le ciel s’est ouvert »), célébration de la naissance du premier État coréen en l’an 2333 avant notre ère.
À l’autre bout du monde, au contraire, l’une des plus récentes fêtes nationales n’est autre que le Freedom Day du 27 avril, qui rappelle ce jour de 1994 où le « miracle » s’est produit en Afrique du Sud. La démocratie est advenue sans violences, lors du scrutin qui a porté Nelson Mandela à la présidence.
La plupart des festivités nationales à travers le monde correspondent à des proclamations de républiques, ainsi qu’à des libérations et indépendances obtenues des empires coloniaux dans les années 1960 et 1970, sans oublier la dissolution de l’URSS en 1990. « La fête nationale est une pratique récente qui remonte à la deuxième moitié du XIXe siècle seulement, rappelle l’historien André Larané dans la revue « Hérodote ». L’émergence des nationalismes au XIXe siècle a conduit les Européens à se doter de rituels d’essence religieuse, propres à renforcer les liens civiques, comme la fête nationale, mais aussi l’hymne national et l’allégeance au drapeau. Ce phénomène a débuté dans les États issus d’une révolution, aux États-Unis, en Belgique, en France. »
Doubles ou triples fêtes nationales
Les monarchies, de leur côté, marquent l’intronisation de leur souverain ou leur anniversaire, doublant les festivités, comme le Danemark, qui fête l’anniversaire de sa reine et sa Constitution. L’historien belge Cédric Istasse rappelle qu’à la fête nationale belge du 21 juillet, qui correspond à la prestation de serment du roi Léopold Ier en 1831, s’ajoutent cinq fêtes communautaires et régionales en Belgique – wallonne, flamande, mais aussi francophone, germanophone et des entités fédérées, instaurées depuis les années 1970. « La commémoration du passé – celui-ci fut-il partiellement réinventé pour la cause – est mobilisée pour servir les projets politiques actuels, en inscrivant ceux-ci dans le long terme et en leur offrant un glorieux précédent. »
En Algérie, l’indépendance acquise de 1962 est célébrée le 5 juillet, de même que le début de la guerre d’indépendance en 1954, le 1er novembre. À quoi s’est ajoutée, le 12 janvier 2018, la fête du Yennayer, jour du Nouvel an berbère. Indépendance et République sont fêtées en Inde, où s’ajoute une troisième fête nationale, le 2 octobre : « Gandhi Jayanti », l’anniversaire du « père de la nation », un jour férié marqué par des prières, la diffusion de messages de non-violence, le dépôt par des foules de guirlandes de fleurs sur les statues de Gandhi, sans oublier la publication d’innombrables livres.
Pas de fête nationale au Royaume-Uni
Au Royaume-Uni, notoirement excentrique, se démarque. On peut considérer, selon les points de vue, qu’il cumule quatre fêtes nationales – ou au contraire qu’elle n’en a aucune… en dehors de ce qui en fait pour l’instant office, l’anniversaire de la reine ou du roi. Comme son nom l’indique, le Royaume-Uni est constitué de quatre nations. À chacune sa fête, donc, qui correspond à un saint du calendrier chrétien, et donne une bonne raison de faire couler des flots de bière : Saint-George pour l’Angleterre, Saint-David pour le Pays de Galles, Saint-Andrew pour l’Écosse et Saint-Patrick en Irlande du Nord.
Les pro-Brexit auraient voulu faire du 23 juin « the » fête nationale. Le référendum du 23 juin 2016 a en effet marqué le début de la sortie du Royaume-Uni du giron européen. D’autres préconisent la date du 31 décembre, le jour de 2020 qui a marqué le retrait officiel de l’Union européenne. Sur ce sujet, le jeune historien britannique Steven Bishop rappelle un mot de son aîné Raphael Samuel, selon lequel « la mémoire est conditionnée par l’histoire, changeant de couleur et de forme en fonction des urgences de l’instant ». Il émettait en 2020 des doutes sur les chances de commémorer un événement ayant autant divisé la nation. « Si l’Europe prospère tandis que le Royaume-Uni se débat tout seul, le 31 janvier pourrait être une date à oublier, ou qui fera l’objet de colère, de regrets et de “je vous l’avais bien dit”. » Aujourd’hui, l’espoir de commémorer le Brexit paraît douché, tant ses conséquences ne donnent plus lieu à de quelconques motifs de réjouissance.
Les fêtes qui fâchent
Loin des bals populaires du 14-Juillet français, fête nationale instaurée par la loi en 1880, un bon siècle après la prise de la Bastille, certains pays boudent, tout simplement, le jour où ils sont censés cultiver leur sentiment d’appartenance à la nation. C’est le cas de l’Allemagne, où les foules s’abstiennent, le 3 octobre, de toute démonstration de joie pour fêter la réunification du pays après la chute du Mur de Berlin. La célébration d’un État fort renverrait-elle aux mauvais souvenirs de l’époque nazie ou aux causes de la partition du pays après la Seconde Guerre mondiale ? L’Allemagne, en tout cas, ne se fait pas prier pour faire la fête, mais plutôt en d’autres occasions, qu’il s’agisse de l’Oktoberfest (fête de la bière) en Bavière ou de la Gay Pride à Berlin.
En Australie, la date 26 janvier s’avère source de tensions, et même de manifestations pour exiger de la modifier. C’est que l’arrivée de la première colonie britannique, le 26 janvier 1788, est loin de réjouir tout le monde, tout un pan des mémoires restant marqué par les massacres alors perpétrés. La véritable fondation de la nation appartient-elle plutôt au peuple aborigène, qui existe depuis 40 000 ans et considère le 26 janvier comme le « jour de l’invasion » ? Le sujet continue de faire débat.
En Espagne, la date du 12 octobre renvoie encore plus clairement au passé colonial. Elle correspond au jour de 1492 où Christophe Colomb a débarqué à Guanahani, aux Bahamas, persuadé de fouler le sol des Indes. Choisie en 1913 et initialement nommée « le Jour de la Race », elle est censée souligner le lien historique entre Madrid et les pays latino-américains hispanophones.
Rebaptisée « fête de l’hispanité » en 1958 par Franco, puis « Fête nationale de l’Espagne » en 1987, cette date est contestée. Ada Colau, la maire de Barcelone, en Catalogne, y a vu en 2015 « la célébration du début d’un génocide ». Quant à l’écrivain Eduardo Galeano, d’Uruguay, il a écrit à ce propos ces lignes définitives : « En 1492, les natifs ont découvert qu’ils étaient indiens, qu’ils vivaient en Amérique, qu’ils étaient nus, que le péché existait, qu’ils devaient obéir à un roi et à une reine d’un autre monde et à un dieu d’un autre ciel. »
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