
Dans le système de soin actuel coexistent d’un côté des hôpitaux publics auxquels on accole à dessein le terme d’« entreprise » qui les contraindrait à être gérés comme telle, c’est-à-dire selon les dogmes de l’économie orthodoxe fondés sur l’expérience privée, et de l’autre côté des cliniques, rebaptisées opportunément ici et là « hôpitaux privés », soumises en principe à des obligations de « mission de service public ».
Les deux types de structures sont censés entrer en concurrence, pour le plus grand bien de leurs « clients » – nouvelle dénomination donnée aux malades ou patients. Afin que cette concurrence soit loyale, une convergence tarifaire totale, la T2A (tarification à l’activité) entre les deux types d’établissements publics et privés est appliquée par les pouvoirs publics.
De la même façon que le terme « entreprise » confère à l’activité hospitalière sa connotation marchande, le terme de « client » donne au patient un caractère consumériste et éventuellement revendicatif.
Une défiance réciproque
On peut s’interroger : les médecins des hôpitaux publics sont-ils d’abord des médecins ou des agents du service public à l’abri de toute contrainte ? Les médecins d’activité libérale sont-ils d’abord des soignants ou des financiers soucieux de leur profit ? Abstenons-nous de répondre à cette question pourtant légitime par une dichotomie aussi caricaturale.
L’activité de soin conserve dans son plus vaste domaine un caractère relationnel. Un individu réputé sachant, diplômé et agréé par l’autorité publique, élabore avec celui qui le consulte un « entre eux-deux » de qualité, de caractère et de durée éminemment variables. Quel que soit le niveau de technicité associé à cette relation, il subsiste de manière plus ou moins souterraine une inégalité structurelle, que le rapport soit empreint de confiance ou sous-tendu par la défiance.
La confiance aveugle en eux revendiquée jadis par ceux qui furent parfois nos maîtres semblait les dédouaner de toute responsabilité en cas d’issue insatisfaisante pour un patient. Soumis à l’obligation de moyens et non de résultat, le praticien voyait rarement sa responsabilité impliquée.
De nos jours, à l’inverse, une défiance réciproque s’insinue entre médecin – soucieux de ne pas être confronté à la justice – et patient enclin à mettre en doute la compétence et le bien-fondé des décisions du professionnel. Ce dernier se replie à l’abri des remparts de l’« Evidence-Based Medicine », la médecine basée sur les preuves, qui lui dicte sa conduite au travers de protocoles préétablis, tandis que le patient endosse le costume du consommateur de soin : lecture des palmarès des établissements de la presse hebdomadaire, surf sur les forums Internet, défense par les associations de victimes d’accidents médicaux ou d’usagers.
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