Parce qu’elle représente un contre-pouvoir important, la presse, dans de nombreux pays du monde, est perçue comme une menace. On cherche à limiter, contrôler la possibilité pour les journalistes d’enquêter librement et d’informer les citoyens sur les sujets de leur choix. En France, la liberté d’informer s’est installée petit à petit, au rythme de l’histoire politique, des transformations sociologiques et économiques du pays, des guerres aussi.
Chaque citoyen doit pouvoir réfléchir seul, se forger un avis afin de prendre son avenir en main. Il a le droit d’être informé. Il a aussi le droit d’informer. Pour cela, la liberté de la presse doit être garantie.
La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.
Reconnue par la Déclaration Universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dans son article 11, la liberté de la presse connaîtra à cette époque-là un premier âge d’or. Des dizaines de journaux voient le jour.
Liberté fragile, y compris dans les pays démocratiques, elle est encadrée par des textes législatifs pour éviter les abus.
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La loi du 29 juillet 1881, première étape
La Révolution, en 1789, consacre la liberté d’expression. Mais une série de mesures autoritaires voulues par les régimes successifs (Consulat, Empire, Restauration, monarchie de Juillet, Second Empire) rétablissent finalement la surveillance des journaux et la censure. Il faudra attendre 1881 pour que la liberté de la presse soit définie et encadrée, sous la IIIe République.
Article 1er : L’imprimerie et la librairie sont libres.
Elle supprime définitivement le cautionnement, c’est-à-dire la nécessité pour le propriétaire d’un journal de déposer une somme d’argent qui soit comme une hypothèque. Les journaux d’opinion, dégagés des contraintes financières, revoient le jour.
Le journal fait désormais partie de la vie quotidienne des Français.
La loi de 1881 grave dans le marbre le droit d’informer – c’est-à-dire d’affirmer, d’infirmer, de démontrer, de prouver, de critiquer – et devient, de ce fait, l’un des piliers de la démocratie avec le suffrage universel. La loi supprime les atteintes à la morale publique et religieuse et détermine surtout les règles d’exercice de la presse. Elle laisse les tribunaux intervenir dans le cadre de l’atteinte aux bonnes mœurs, atteinte à la sécurité intérieure de l’État ou atteinte à la personne d’un chef d’État étranger.
Malgré tous les assauts, comme en 1882 avec les lois « scélérates » (suite à des attentats anarchistes, l’apologie des crimes et délits est puni et permet l’arrestation provisoire), cette loi résistera et s’adaptera aux différentes innovations médiatiques en gardant intact son fondement, celui de la protection de la liberté de la presse. À noter que dans son article 27, cette loi luttait déjà contre la propagation de fausses nouvelles susceptibles de troubler l’ordre public.
La publication ou reproduction de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers, sera punie […] lorsque la publication ou reproduction aura troublé la paix publique et qu’elle aura été faite de mauvaise foi.
La moralisation de la profession avec la Charte des devoirs du journaliste de 1918 et celle dite de Munich en 1971
À l’issue de la Première Guerre mondiale, la crédibilité journalistique est mise à rude épreuve à la suite de la pratique du « bourrage de crâne ». Les journaux ont pris l’habitude de publier des « bobards » pour masquer la réalité des combats. Les journalistes s’interrogent sur leurs devoirs et sur leurs droits. La professionnalisation et la moralisation du journalisme s’engagent, le métier cherche à se structurer. Une première charte, adoptée en 1918 par le Syndicat national des journalistes, puis révisée et complétée en janvier 1938 par le même syndicat, devient le texte de référence des journalistes français. Le texte met en avant la notion de responsabilité du journaliste, à l’égard de ses « pairs ».
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec la faillite morale constituée par la collaboration de nombreux organes de presse avec les nazis, la réflexion sur l’éthique journalistique se poursuit.
La responsabilité des journalistes vis-à-vis du public prime toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics.
La déclaration des devoirs et des droits des journalistes, signée à Munich le 24 novembre 1971, consacre dix devoirs, dont celui de respecter la vérité, de ne pas user de méthodes déloyales pour obtenir des informations et cinq droits, comme celui de ne pas être contraint à accomplir un acte professionnel ou à exprimer une opinion qui serait contraire à sa conviction ou sa conscience.
Petit à petit, à la suite de plusieurs dérapages observés dont celui du faux charnier de Timisoara, en 1989, une sordide mise en scène politique qui dupa les journalistes venus raconter la chute du régime roumain de Ceausescu, le public se saisit de la question de l’éthique du journalisme. Et les organes de presse sont incités à se doter d’une charte. France Médias Monde fera de même.
L’indépendance de la presse et la loi du 23 octobre 1984, « loi anti-Hersant »
La question du pluralisme de la presse est au cœur du débat sur sa liberté. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la dépendance des journaux vis-à-vis de l’État est totale. Mais petit à petit, l’État va abandonner la presse au secteur privé. L’Office de Radiodiffusion Télévision Française, l’ORTF, disparaît en 1975, et les chaînes se privatisent.
En 1984, une loi voulue par les députés de gauche souhaite obliger Robert Hersant, alors propriétaire de France Soir, Le Figaro, L’Aurore et une douzaine de quotidiens régionaux, à limiter ses ambitions hégémoniques médiatiques. L’ordonnance du 26 août 1944, censée garantir le pluralisme au lendemain de la guerre, sert de base à la loi de 1984. Mais en 1986, le Parlement vote une loi relative à la liberté de communication qui assouplit les règles relatives à la concentration et à la transparence en n’interdisant pas, par exemple, la multiplicité des activités médiatiques d’un même groupe.
L’indépendance des médias est régulièrement l’objet de débats et de questionnements. Les grands patrons de l’industriel, du luxe ou des télécoms, comme Bernard Arnault, Xavier Niel, Patrick Drahi, Arnaud Lagardère, ont pris des parts importantes dans le capital de plusieurs médias. Vincent Bolloré s’est constitué par exemple un véritable empire médiatique à la fois dans l’audiovisuel avec le groupe Canal et ses chaînes C8 et CNews, radio Europe 1, dans la presse avec Prisma Media, premier groupe de magazines en France, le JDD, Paris-Match et dans la publicité/communication avec le groupe Havas.
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La protection des sources
Garanti par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, la protection du secret des sources journalistiques est un droit qui permet aux journalistes de taire le nom de leurs informateurs dans un travail d’enquête d’intérêt général. Il fait l’objet d’une jurisprudence très protectrice de la part de la CEDH. La Cour européenne des droits de l’homme, dans l’arrêt Goodwin contre Royaume-Uni de 2002, stipule que « la protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse (…) L’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général ».
La loi Dati de 2010 est venue renforcer ce droit donné aux journalistes de pratiquer la méthode de l’infiltration pour obtenir des informations. Le législateur inscrit donc dans un texte la notion d’intérêt général de pouvoir informer sans risque pour le journaliste et pour ses sources. En 2018, la promulgation d’une loi sur le secret des affaires inquiète la profession dans un contexte où les journalistes et lanceurs d’alerte souhaitant dévoiler des manquements importants de la part des entreprises sont régulièrement intimidés et poursuivis en justice.
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