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La fin décembre est une période propice à regarder dans le rétroviseur. Dans le secteur culturel, le fait marquant de 2022 reste la chute de fréquentation des cinémas, autant à Paris, qu’à Pékin, Los Angeles ou Bombay. Un phénomène dû à la concurrence des plateformes de streaming et aux deux années de pandémie, mais pourrait-il se dissiper ou est-il voué à perdurer ?
Un septembre noir ! C’est ainsi que les professionnels du 7e art français qualifient la rentrée des salles de cinéma en 2022 : 7,38 millions d’entrées, du jamais vu depuis les années 1980. À tel point qu’une partie de la profession, inquiète pour l’avenir du cinéma français qui repose sur un système de financement unique au monde, avait appelé jeudi 6 octobre à des « États généraux ».
Le distributeur Etienne Ollagnier avait dressé le portrait d’une crise multifacette : « Il y a évidemment la crise conjoncturelle liée au Covid : la fermeture des salles pendant trois cents jours, presque une année, entre 2020 et 2021 ; le fait aussi que les salles ont été considérées comme des commerces non essentiels, soumis aux restrictions, jauges, masques, pass sanitaire. Il y a aussi une crise plus structurelle : le vieillissement des publics, la concurrence des plateformes qui était déjà en genèse, mais s’est accentuée pendant la fermeture des salles. Mais aussi pour ce qui est du cinéma indépendant que l’on représente, de nombreuses attaques faites à la diversité, une crise également des idées reçues (sur le prix des places ou l’image des films français). Tout ceci cumulé, c’est une crise multicouche, un millefeuille de crises. »
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Cette crise multifactorielle n’inquiète pas que les Français. Même le Canadien James Cameron, pourtant recordman du box-office mondial avec Titanic puis Avatar, s’inquiétait de la désaffection des salles au moment de la promotion d’Avatar, la voie de l’eau, la suite de son immense succès : « Je suis très inquiet. Je suis peut-être un dinosaure, et les gens n’ont pas autant besoin que moi de voir un film en salles. Mais tout n’est pas perdu. Et peut-être qu’un film comme Avatar peut rappeler au public ce que peut être une expérience cinématographique. C’est pour cela qu’on le sort dans différents formats. Mais je ne peux pas vous garantir que cela va marcher. On verra (ajoute-t-il en français). »
Avatar, chronique d’un succès annoncé ?
Et on a déjà vu. En quinze jours, le film de James Cameron a déjà dépassé les 5 millions de spectateurs en France, et rapporté près de 300 millions de dollars au box-office américain. La longueur du film (3h12) et le surcoût lié à la 3D n’ont pas découragé les spectateurs. Peut-être même au contraire attendaient-ils ce film événementiel pour retourner dans les salles, et même plutôt deux fois qu’une. En France, Avatar, la voie de l’eau pourrait dépasser le carton de l’année, Top Gun Maverick (la suite du succès avec Tom Cruise).
De quoi rendre finalement optimistes les exploitants. Comme Marc-Olivier Sebbag, le délégué général de la Fédération nationale des cinémas français, qui note la relative bonne tenue sur l’année des films français, dont la part de marché tangente les 40%, au même niveau que les films américains. « On va terminer l’année 2022 avec un total de 150 millions de spectateurs, soit bien plus qu’en 2020 (65 millions) et 2021 (95 millions). Certes, les chiffres du premier semestre 2022 étaient mauvais, mais les conditions sanitaires étaient encore difficiles. Depuis le mois d’octobre, nous sommes dans une bonne dynamique. Ce n’est qu’avec la fête du cinéma, avec un film comme Top Gun Maverick, avec l’arrivée de toute une série de films français à succès comme Novembre, Simone ou L’Innocent que l’on constate le retour des spectateurs. Et enfin, on arrive avec l’immense succès d’Avatar. »
« On a cette série de bonnes nouvelles qui fait que l’on envisage sereinement l’année 2023. D’autant que s’annoncent beaucoup de films de nature à attirer les spectateurs comme Astérix et Obélix, l’empire du milieu ou Les Trois mousquetaires. Toutes les semaines, vous aurez des films qui vont intéresser les uns et les autres », prophétise avec optimisme Marc-Olivier Sebbag.
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Optimisme relatif
Tous les professionnels du cinéma français ne partagent pas cet enthousiasme. Même si l’embellie se confirme, aucun film français ne devrait figurer sur le podium des dix plus gros succès de l’année 2022. Surtout, qu’ils soient producteurs, auteurs, réalisateurs ou distributeurs, les artisans français du 7ème art s’inquiètent des possibilités de financer les futurs films d’auteurs, ou les découvertes.
Nicolas Pariser, dont le dernier film Le parfum vert (une comédie d’espionnage) est actuellement en salles, résume ainsi les données de l’équation : « Il y a d’un côté des exploitants qui veulent transformer le cinéma en expérience coûteuse, ultra spectaculaire qui serait un mélange de Foire du trône et d’Opéra de Paris, avec des places à 25 euros et des films énormes avec des sièges qui bougent dans tous les sens. Et puis de l’autre des plateformes qui veulent au maximum que les gens restent chez eux. Ces grands mouvements industriels vont avoir une incidence sur les films produits dans les prochaines années parce que ce sont quand même eux qui les financent. J’espère que le spectateur aura son mot à dire, et que ce mot c’est qu’il veut voir une grande diversité de films. »
La crainte, c’est en effet que des films français plus fragiles, ou d’auteurs inconnus, ne puissent pas trouver de financement et qu’ainsi soit fragilisé tout un écosystème vulnérable, le cinéma étant à la fois un art et une industrie