
Rafed Ryad Ben Zami est plutôt discret. Il consacre ses journées à la cathédrale de Saint-Joseph et Sainte-Thérèse du quartier de Karada à Bagdad. Tout au long de l’année, il y organise la vie sociale et culturelle de sa communauté catholique, mais à l’approche de Noël, il enfile son costume rouge pour rassembler les enfants de toutes religions.
De notre correspondante à Bagdad,
« Habituellement, je viens à l’église et j’assure mon service, mais je n’interagis pas beaucoup avec les gens », sourit timidement Rafed Ryad Ben Zami justifiant sa retenue. Assis dans le couloir menant à la chapelle de prière de la cathédrale Saint-Joseph et Sainte-Thérèse de Bagdad, il s’exprime doucement, fait des phrases courtes quand il s’agit de parler de lui, mais change du tout au tout lorsqu’il aborde son identité secrète. « Je suis surexcité quand j’enfile mon costume de Père Noël, on saute partout, on danse, on fait vraiment la fête », rigole-t-il.
Mais c’est en habit de ville qu’il se présente ce jour-là. À 28 ans, ce discret bagdadi vit avec ses parents et son frère. Catholique pratiquant, travailleur laïc, il enseigne la Bible aux jeunes de la communauté, veille sur les nonnes du couvent adjacent et vient en aide aux frères dominicains pour administrer la paroisse. Sa vie tourne intégralement autour de cette église. « Mon but, c’est juste de servir les autres, parce que c’est ce qu’on apprend de la Bible. Je ne veux pas devenir prêtre », précise-t-il, avant de surenchérir : « J’ai l’intention de me marier un jour. » En 2015, il s’est senti investi d’une mission importante lorsqu’il a accepté de reprendre le rôle du Père Noël.
Une tradition née de la guerre
À l’époque, l’organisation de l’État islamique contrôle une grande partie du nord de l’Irak et notamment la province de Ninive, où se trouve Qaraqosh, la plus grande ville chrétienne du pays. Les minorités non musulmanes n’ont que peu de choix : se convertir, fuir ou mourir. « Nous avons accueilli tellement de déplacés dans notre église, se souvient Rafed. Nous voulions simplement les rendre heureux, compte tenu des difficultés terribles qu’ils devaient affronter. C’est comme ça que le Père Noël est apparu dans notre église, pour les enfants et leurs familles. »
D’autres avaient incarné le personnage auparavant, mais à partir de là, cela devient une réelle tradition, réclamée par les membres de la communauté. Tous les ans, il enfile donc ses bottes, sa tenue rouge, son bonnet et surtout sa grande barbe blanche ; un nouveau costume, chaque année, car pendant les fêtes, « comme il y a beaucoup d’enfants qui n’arrêtent pas de sauter sur moi, ils le déchirent. ». Il leur distribue des cadeaux et raconte à son jeune public l’histoire de Saint Nicolas, à l’origine de la légende du Père Noël. Selon les croyances chrétiennes, l’homme, devenu saint, déposait, sous couvert de la nuit, des présents chez les familles dans le besoin.
Selon lui, cette histoire porte un message d’espoir et de joie dans son pays. « Tout est difficile, ici, y compris la vie quotidienne, les tensions variées dans les rues, et avec notre gouvernement. » Les dernières statistiques officielles publiées en début d’année par le ministère du Plan estimait le taux de pauvreté dans le pays à 25%, et ce pourcentage atteint 38% pour les enfants.« En Irak, il n’y a pas beaucoup de moments de bonheur, donc on recherche des occasions, des événements joyeux », insiste-t-il pour expliquer les raisons qui le poussent à envisager une longue carrière de Père Noël.
Un symbole d’unité
S’il semble vivre à l’abri, hors du temps, dans ce complexe chaleureux entourant l’église, Rafed Ryad Ben Zami vit et subit, en réalité comme tout Irakien, les tourments qui secouent son pays. En 2019, « beaucoup de mes amis d’enfance sont morts au cours des manifestations [qui ont commencé en octobre 2019, Ndlr] mais comme nous ne pouvons rien faire face à ces événements tragiques, on essaie d’oublier et de vivre nos vies autant que possible ». Endosser son costume de Père Noël lui permet de faire abstraction, le temps d’un instant, des difficultés du quotidien et des drames qui marquent sa vie.
Depuis la fin de la guerre contre le groupe État islamique, il croit d’autant plus à l’importance de faire vivre « Baba Noël », comme il est appelé en arabe. « On peut dire qu’il est devenu un symbole d’unité », dit-il. « Tous mes amis sont différentes religions et tous célèbrent cette journée. Ils trouvent cela très important. » De plus en plus de musulmans se joignent, en effet, aux célébrations, depuis 2017. Analyser comme une influence du consumérisme occidental ou des réseaux sociaux, par certains ; d’autres attribuent ce phénomène à la volonté d’envoyer un message de solidarité à la minorité chrétienne, persécutée par le groupe État islamique, et en déclin. Estimée à 1,4 million de personnes en 1987, elle ne compterait plus aujourd’hui que 200 000 à 250 000 fidèles dans le pays.
En 2020, le 25 décembre est officiellement devenu un jour férié en Irak. Sapins et guirlandes sortent des quartiers abritant des chrétiens, et de nombreux Pères Noël rouges arpentent les rues. « Hors d’Irak, cela paraît sans doute surprenant, mais c’est à cause des stéréotypes. Nous vivons ensemble donc nous nous influençons et Jésus est universel [il est cité à plusieurs reprises dans le Coran, Ndlr] », analyse Rafed.
Son seul regret, aujourd’hui, c’est que les enfants commencent à le reconnaître sous son accoutrement rouge. « J’essaie de leur dire que ce n’est pas moi, mais ils ne me croient plus. » Qu’à cela ne tienne, il continuera tant qu’il le pourra.