Publié le : 10/09/2022 – 06:58
Grand nom des lettres lusophones africaines contemporaines, Mia Couto écrit pour « apprendre aux lecteurs à rêver ». Journaliste, poète, romancier, chroniqueur, conteur, il est l’auteur d’une œuvre somptueuse et poétique, riche d’une trentaine d’ouvrages. Son nouveau roman, Le Cartographe des absences, s’inspire de la vie de son père, qui fut, lui aussi, journaliste et poète et engagé dans la lutte contre colonisation portugaise.
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Le Mozambicain Mia Couto est habité par un profond sentiment de frustration. L’écrivain s’est longtemps imaginé en Che Guevara du Mozambique, mais doit aujourd’hui se contenter de n’être que le Victor Hugo de son pays ou au mieux son Gabriel Garcia Marquez. Des noms certes prestigieux, mais qui n’ont rien à voir avec la carrière révolutionnaire dont il avait autrefois rêvé.
« A l’époque j’étais encore adolescent, explique Couto. Nous vivions dans une société coloniale et ouvertement raciste. J’étais révolté par les agissements du régime fasciste au pouvoir. Je rêvais de changer le monde. Che Guevara était notre grande source d’inspiration, même si ses livres étaient alors interdits dans nos contrées. Victor Hugo ne jouissait pas du même prestige ni de l’attrait épique qu’exerçait la révolution cubaine. »
« Un blanc doté d’une âme africaine »
De son vrai nom Antonio Emilio Leite Couto, Mia Couto est né en 1955 au Mozambique, de parents portugais. « C’est un blanc, doté d’une âme africaine », dit de lui son ami et confrère Hennig Mankell. Entré en littérature dans les années 1980, Mia Couto est devenu l’une des figures les plus importantes des lettres lusophones d’Afrique. Primé par quelques-uns des plus prestigieux prix littéraires, dont le prix Camoes en 2013 et l’année suivante du prix Neudstadt International, l’homme a, à son actif, une trentaine de livres traduits dans 20 langues et partagés entre romans, chroniques, nouvelles et poésies.
Terre somnabule (1992), La Véranda du frangipanier (2000), L’Accordeur de silences (2011), Les Sables de l’empereur (2020) sont quelques-uns des romans les plus connus du Mozambicain où le réel se fait parfois fantastique et magique, sur fond de drames et de tragédies incommensurables.
Poète autant que conteur, Couto puise son inspiration dans la tradition orale mozambicaine. Il revisite l’histoire du continent, ne cessant d’ausculter les séquelles des guerres coloniales dans la mémoire collective mozambicaine et dans la vie quotidienne, comme on le voit dans son nouveau roman, Le Cartographe des absences, qui vient de paraître. Ce livre revient sur les dernières années de la colonisation portugaise au Mozambique, les atrocités et les dévastations, la police secrète à l’œuvre et les amours interdits entre blancs et noirs. Pour raconter sa descente dans les ténèbres de la guerre sans paix, le romancier s’est inspiré de la vie de son père, comme le précise la note liminaire en début du roman.
« C’est mon roman le plus autobiographique, ajoute Couto. J’y évoque Beira, ma ville natale, au cœur du Mozambique où j’ai grandi. Or quand je suis retourné sur les lieux de mon enfance, je me suis très vite rendu compte que ce ne sont pas tellement les lieux en soi que je voulais retrouver, mais plutôt l’émotion encore attachée à ces lieux. J’ai également pris conscience combien la présence de mon père restait encore vivace dans ces lieux. Il a été mon guide lors de mes pérégrinations à travers le passé. »
Salazar, Frelimo et l’écriture
Le père de Mia Couto fut journaliste et poète. Il sert de modèle au protagoniste du roman. Poète athée et communiste, Fernando Leite Couto s’était opposé au régime fasciste du dictateur Salazar et avait dû fuir le Portugal avec sa femme dans les années 1950. Le couple s’était exilé au Mozambique où Mia Couto et ses frères et sœurs sont nés.
« Mon père avait lutté pour l’indépendance du Mozambique qu’il estimait inéluctable, et il nous a appris à aimer ce pays », confie l’écrivain. Mission manifestement réussie, puisqu’à seize ans, le jeune Mia rejoignit les rangs du Frelimo et milita pour la libération du pays. Il était chargé, un temps, de diriger le journal du parti révolutionnaire, Noticias. Selon la légende, c’est en allant faire des reportages dans les coins perdus du pays qu’il prit goût à l’écriture et se lança dans la carrière littéraire. Avec le succès que l’on sait.
Lorsqu’on demande à l’auteur de confirmer la légende qui entoure sa venue à l’écriture, il avance une autre explication, plus personnelle, plus en phase avec sa personnalité tout en modestie et autocritique. « C’est sans doute parce que je suis un homme qui a failli que je suis devenu écrivain, affirme-t-il. Déjà, jeune garçon, j’étais nul à l’école, contrairement à mes frères qui revenaient toujours avec d’excellents résultats. Mes parents se demandaient souvent, en poussant de longs soupirs, ce que j’allais bien devenir. En fait, c’est quand rien ne nous réussit que nous essayons de nous frayer notre propre chemin. »
Un chemin qui passe forcément par l’imagination et l’écriture, s’agissant de Mia Couto. Dans le deuxième volet de cette chronique à écouter samedi prochain, nous nous attarderons justement sur l’imagination autofictionnelle et l’écriture poétique qui font le succès du Cartographe des absences, l’opus d’un maître au sommet de son art.
Le Cartographe des absences, par Mia Couto. Traduit du portugais par Elisabeth Monteiro Rodrigues. Éditions Métailié, 347 pages, 22,80 euros.