
Publié le : 09/09/2022 – 06:28
Elizabeth II s’est éteinte le 8 septembre 2022. Pendant des décennies, la reine a présidé le Commonwealth, la grande organisation intergouvernementale composée de 56 États membres, dont 21 africains, presque tous d’anciens territoires de l’Empire britannique. Le Commonwealth va-t-il survivre à sa disparition ? Virginie Roiron, maître de conférences à Sciences Po Strasbourg, revient sur l’avenir de l’organisation.
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Comment la reine Élizabeth II a-t-elle vécu la vague des indépendances, notamment africaines, et l’effondrement de cet empire britannique ?
Virginie Roiron : Le travail qu’elle a fait pour donner vie à l’association post-impériale qu’est le Commonwealth a été particulièrement actif. Elle a œuvré pendant tout son règne pour rendre vivante en fait cette association qui s’est transformée en 1949, donc sous le règne de son père, en une organisation internationale. Donc, à partir de 1952-1953, elle a œuvré pour que ce Commonwealth ne se disperse pas. Elle a tout fait pour que ce qu’elle appelait « la famille du Commonwealth » reste unie, pour que l’empire en fait continue d’une certaine manière à vivre, mais de manière informelle, à travers cette association qui se construisait. On pense à cette visite en 1961 au Ghana. Et la crainte en fait qu’il y avait à cette époque-là, c’est que le Ghana se rapproche du bloc de l’Est. La visite de la reine au Ghana en 1961 a été particulièrement importante pour cimenter un petit peu le Commonwealth, montrer que le Commonwealth n’était pas l’empire britannique sous une autre forme, mais était une organisation réellement multiraciale. Et puis dans les actions qu’elle a menées en tant que cheffe du Commonwealth, encore une fois, ce sont des actions relativement discrètes : l’ouverture du sommet du Commonwealth de Lusaka en 1979 où une solution à la crise de Rhodésie qui allait donner lieu à l’indépendance du Zimbabwe a été trouvée ; et puis l’invitation de Nelson Mandela, après sa sortie de prison alors qu’il n’était pas encore chef d’État, à un sommet du Commonwealth. Ces petites actions ont certainement eu pour objectif de cimenter le Commonwealth, en instaurant une certaine confiance et en promouvant le principe d’égalité. Après, c’est de l’image, c’est du symbole, mais c’était quelque chose d’important pour la survie de l’association.
Est-ce que la disparition de la reine Élizabeth II peut changer, peut chambouler l’organisation du Commonwealth, les relations entre la couronne et les anciennes colonies ?
Cela va dépendre de la manière dont Charles envisage son rôle de chef du Commonwealth. On a vu le pas qui a été franchi à La Barbade, où justement Charles a reconnu les horreurs de l’esclavage, ce qui est déjà un pas important. Évidemment, ce sera une perte importante. Elle a façonné d’une certaine manière par sa personnalité, par ses actions. Et de ce point de vue-là, c’est vrai, est-ce qu’une organisation va survivre à la personne qui l’a façonnée ? C’est toujours une question qu’on peut se poser. Maintenant, le Commonwealth, ce n’est pas seulement le monarque britannique. C’est aussi une association de 56 membres maintenant, qui sont avant tout intéressés par une coopération économique et des échanges. Je dirais que finalement, si les membres du Commonwealth parviennent à trouver un moyen d’avancer ensemble, finalement ce sont les chefs d’État qui déterminent les politiques du Commonwealth. Or, on a vu que finalement, avec l’arrivée du Gabon et du Togo en juin, donc après le Rwanda en 2009, que le Commonwealth pouvait être attractif et qu’il était attractif parce que cela créait des liens avec tout un monde anglophone qui développe des liens commerciaux plus serrés. L’enjeu actuel du Commonwealth, c’est de savoir si cette organisation va continuer à essayer de défendre les Droits de l’homme, les droits fondamentaux en fait des populations, les droits à la démocratie, etc. C’est là-dessus qu’achoppe le Commonwealth actuellement. C’est un décalage entre les pratiques de ses membres et ce que le Commonwealth a déclaré. Mais à partir du moment où on reste sur les questions de coopération économique, les États du Commonwealth peuvent encore trouver un souffle à leur organisation.
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