Des retraités mal soignés, malnutris, isolés… Les révélations sur les mauvais traitements infligés à des résidents d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) se sont multipliées depuis la publication en janvier du livre d’enquête du journaliste Victor Castanet, Les Fossoyeurs (Fayard, 400 pages, 22,90 euros), sur les dérives du groupe Orpea. Mais à quel point les maltraitances sont-elles répandues ? Combien des quelque 700 000 pensionnaires en Ehpad en ont été victimes ? A ce jour, les autorités sanitaires françaises ne sont pas en mesure de le dire.
Interrogé en février, le gouvernement a affirmé ne pas disposer de statistiques nationales fiables sur le sujet. Pourtant, un « bilan statistique national annuel » des situations de maltraitance dans le secteur médico-social est établi par le ministère de la santé depuis 2010.
Ces rapports ont jusqu’ici été tenus secrets par le gouvernement, qui a d’abord refusé de les communiquer au Monde. Or rien ne s’oppose à leur publication, a estimé la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), que nous avons sollicitée. Suivant l’avis rendu par la CADA le 7 juillet, le ministère de la santé nous a finalement transmis les quatre dernières éditions de ce bilan national, datées de 2018 à 2021.
Des signalements qui remontent au compte-gouttes
Dans ces rapports annuels, la mission d’alerte de veille de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), qui dépend du ministère de la santé, est censée documenter la nature des « événements exceptionnels et/ou à caractère dramatique menaçant ou compromettant la santé ou la sécurité des usagers » des établissements médico-sociaux. Cela inclut les Ehpad, mais aussi les établissements accueillant des adultes handicapés et ceux de la protection de l’enfance.
Or, loin de produire une radiographie des signalements de maltraitances ou de violences, ces rapports révèlent en réalité que le ministère est presque aveugle sur ces phénomènes, en raison d’importantes lacunes dans le système de suivi et la remontée des informations de terrain.
La DGCS publie chaque année un rapport sur les signalements de violences et maltraitances en établissements de santé qui révèlent les lacunes du suivi de ces événements.
En principe, les établissements médico-sociaux doivent signaler tout dysfonctionnement grave aux agences régionales de santé (ARS), qui doivent ensuite remonter les cas les plus sérieux au niveau national. Or la DGCS regrette de ne recevoir « qu’un très faible nombre de signalements » de la part des ARS : à peine une dizaine de cas de maltraitance chaque année, tous types d’établissements confondus. En 2019, plus d’un tiers des ARS (sept sur dix-huit) n’ont fait remonter aucun signalement. Année après année, les rapports déplorent que l’administration centrale ne dispose que de « très peu de données », faussant ainsi leur analyse.
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